L’équilibre acide-base : non pertinent pour la nutrition

Il y a quelques temps, un abonné se posait des questions suite à mon article concernant l’équilibre acide-base (que j’ai du coup supprimé pour le remplacer par celui-ci, plus complet). Il me dit qu’il a lu le livre Paléo Nutrition de Julien Venesson (que j’ai lu il y a quelques années d’ailleurs), dans lequel l’auteur nous explique que l’alimentation moderne est acidifiante et cause la fonte osseuse et musculaire. Pour reprendre les mots de la personne qui m’a écrit :

« Ce que je retiens moi c’est que le tampon se fait soit avec les minéraux dans la nourriture, soit avec les os, causant des problèmes de fractures et de fragilisation des os. »

Quand on lit le livre, c’est tout à fait pertinent de penser ça. Mais ça ne se base pas sur la réalité, et je vais expliquer pourquoi. Et si c’est bien d’en faire profiter un abonné, ce serait encore mieux d’en faire profiter à tous !

A propos de l’équilibre acide-base

Tout d’abord, pour ceux qui aiment directement se mettre dans le bain, il y a ce cours qui explique les processus de régulation du pH sanguin : https://www.infirmiers.com/etudiants-en-ifsi/cours/cours-reanimation-equilibre-acido-basique.html

Il y a aussi cet article en anglais https://www.mysportscience.com/post/2020/04/05/myth-busting-the-alkaline-diet Il reprend les mêmes bases que le premier article mais explique aussi l’origine de la croyance en le pouvoir de la « diète alcaline » sur le pH sanguin et contient en plus des liens vers des études montrant entre autres que l’alimentation peut modifier le pH urinaire mais pas le pH sanguin.

Maintenant, mon explication :

D’après les gourous de l’alimentation basifiante, pour faire simple, il serait important de manger des aliments dits « alcalinisants / basifiants » afin de contrer l’acidité de notre corps due à une trop grande consommation de produits « acidifiants » tels que les produits d’origine animale ou les céréales.

En effet, l’alimentation moderne est riche en viande, blé, lait etc… et pauvre en fruits et légumes, qui eux seraient les aliments alcalinisants.

Une trop grande acidité corporelle serait la cause de beaucoup de maux : migraines, décalcification osseuse et dentaire, problèmes de peau etc. La raison en serait que si l’organisme devient acide, les tissus tels que les os vont libérer du calcium afin de tamponner cette acidité : ces tissus vont alors se fragiliser.

Afin de connaître en détail le pH de chaque aliment, il faudrait se fier à l’indice PRAL, pour « Potential Renal Acid Load ». En gros, c’est l’acidité de l’urine. Grâce à l’indice PRAL, nous pourrions connaître la charge acide produite dans l’organisme par un aliment donné.

Il y a plusieurs erreurs scientifiques dans ce raisonnement. Il nous faut comprendre les mécanismes qui entrent en jeu dans l’acidification corporelle.

L’acidification de l’organisme s’appelle en fait « acidose ». Il s’agit d’une maladie, grave. Elle peut être due :

• à une fuite de bicarbonates du sang

• ou/et à une mauvaise élimination du CO2 par les poumons.

Le soucis est en fait essentiellement interne, l’alimentation n’entre pas en jeu.

Ensuite, il faut savoir que la moindre variation de pH dans notre sang est très dangereuse, et peut mener à la mort. Pour cela, l’organisme utilise des tampons, de telle sorte qu’une acidification (ou même une « basification ») est impossible (sauf lorsque, vous l’aurez compris, l’organisme est défaillant).

A cela, certains répondent que ces systèmes de tampons ont été créé justement pour contrer les méfaits de l’alimentation. Mais en fait, si le corps possède des systèmes tampons c’est davantage pour faire face à l’acidité qui résulte de la production d’énergie. Vous savez par exemple qu’à la fin d’une séance de cardio, vous avez des lactates dans le sang. Rassurez-vous, les systèmes tampons utilisés pour son élimination n’implique pas la dégradation des tissus osseux ! Et ça n’est pas non plus l’alimentation qui entre en jeu, mais la respiration et l’excrétion.

D’ailleurs, l’estomac possède une acidité tellement élevée que peu importe le pH des aliments, ceux-ci auront tous le même pH une fois ingérés.

« Oui mais ça on l’a bien compris, ce n’est pas le pH des aliments en lui-même qui influe le pH sanguin, mais leurs minéraux ; et si y a pas assez de ces minéraux alors le corps va les choper dans les os et on va attraper l’ostéoporose ! »

Oui mais non. Encore une fois, ce sont la respiration et l’excrétion rénale qui importent, en régulant les bicarbonates et le CO2.

Il n’est pas possible d’influencer le pH sanguin par l’alimentation. La seule variation possible est le pH urinaire, d’où le manque de fiabilité de l’indice PRAL qui se réfère à la charge acide rénale pour connaître le pH sanguin : ben oui, ça n’est pas pertinent car le pH urinaire n’est PAS le pH sanguin et rien ne nous a jamais indiqué qu’il y avait un lien entre les deux.

Rien ne nous montre que les minéraux apportés par l’alimentation a une influence sur le pH sanguin. Et puis même si c’était le cas, le pH optimal serait vite rétabli par les systèmes tampons (bicarbonates, acide carbonique) régulés par la respiration et l’excrétion via les reins et les poumons. Donc s’il y avait une influence (ce que les études démentent, cf le 2nd article partagé plus haut), elle serait minime et insignifiante en comparaison aux vrais systèmes tampons.

Pour résumer simplement : les systèmes tampons existent mais seulement pour rétablir le pH momentanément déréglé, comme lors d’une activité physique. Et ce rétablissement du pH n’implique pas l’alimentation.

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Les études

Maintenant je vais me prêter au jeu du débunkage des liens partagés, issus de Paléo Nutrition. Il s’agit des réponses que j’ai apportées à l’abonné qui se posait des questions.

• – https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12450898/

Cette étude cherche à montrer que l’alimentation paléo contient un meilleur équilibre des précurseurs nutritifs des ions hydrogène et bicarbonate que l’alimentation moderne.

Pour bien comprendre je vais revenir sur les causes de l’acidose métabolique (car c’est d’elle dont il est question dans cette étude).

Le pH sanguin est régulé par notamment la respiration, grâce à laquelle le CO2 est rejeté (causant une augmentation du pH) et l’excrétion urinaire, qui permet l’excrétion des ions hydrogènes. Le pH tient dans l’équilibre de certains éléments (comme les bicarbonates et l’acide carbonique).

L’alimentation apporte des ions hydrogènes et des bicarbonates à l’organisme, certes. Mais étant donné que l’organisme lui-même régule le taux des systèmes tampons qui permettent un bon équilibre du pH via la respiration et/ou l’excrétion, en quoi l’alimentation importe ? Je vais donner une analogie pour comparer : si je mets une assiette propre dans mon lave vaisselle, quand elle sortira elle sera propre ; si je mets une assiette sale dans mon lave vaisselle, attention suspens, elle sortira propre également.

Cependant, selon certains nutritionnistes, il est à la mode de dire que si l’alimentation ne présente pas un équilibre optimal des tampons (si l’alimentation n’apporte pas assez de précurseurs de bicarbonates par exemple), alors l’organisme va trop en baver pour rétablir un pH équilibré (probablement car la respiration et l’excrétion urinaire seules ne sont pas assez efficients selon eux, mais ça ils omettent de l’évoquer), et il faudra chercher les systèmes tampons (bicarbonates par exemple) dans les tissus de l’organisme, comme les os et les muscles…

Mais en fait, le corps ne va pas se bouffer tout seul pour ça. La respiration et l’excrétion sont suffisamment performants pour réguler les systèmes tampons tout seuls !

Pour en venir à l’acidose métabolique, il s’agit d’une maladie pour laquelle la respiration et l’excrétion sont obsolètes pour établir un bon pH, à cause d’une accumulation d’acide (qui n’a rien à voir avec l’alimentation, je précise), ou d’une perte excessive en bicarbonates (tout cela peut être dû à un trouble des organes de la respiration et de l’excrétion eux-mêmes). Et ces troubles sont souvent elles-mêmes liées à des pathologies (insuffisance rénale, cancers etc) ou bien à des intoxications (en gros si tu ne t’amuses pas à boire le liquide de refroidissement de ta voiture, tout devrait bien aller).

Pour en revenir à l’étude : certes, elle met en évidence le fait que l’alimentation paléo présente un équilibre différent en précurseurs des ions hydrogènes et bicarbonates que l’alimentation moderne. Et alors ? Sauf en cas de maladie qui augmente les chances de développer une acidose métabolique, les poumons et les reins seront toujours là pour garder le sang au pH optimal, et ce sans besoin de voler dans ses os et ses muscles. Par ailleurs, cette étude ne montre à aucune moment le lien entre cet équilibre en précurseurs des ions hydrogènes et bicarbonates avec l’acidose métabolique. Elle présuppose ce lien sans en donner les fondements ni les preuves. Donc pour résumer : cette étude ne nous apprend rien. Et dès qu’on se penche sur les causes réelles de l’acidose métabolique, on constate que de toutes façons ça ne peut être que du bullshit. Et aussi, j’aimerais bien voir une étude qui me montre les effets d’une alimentation paléo pour une personne déjà en acidose métabolique… ça promet d’être rigolo !

• – https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12388390/

Cette étude, qui prétend montrer que basifier son alimentation empêche la fonte osseuse qui est due à « l’alimentation acidogène » moderne – étude qui ne montre en fait que l’administration d’une solution basique permet une meilleure rétention de calcium – avoue elle-même qu’elle ne sait pas si la rétention de calcium est due à la réduction de l’acidité ou à l’administration de potassium présente dans la solution basique. Donc elle ne prouve rien.

• – https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/14993483/

Cette étude, intitulée « Correction of Metabolic Acidosis Improves Thyroid and Growth Hormone Axes in Haemodialysis Patients », prouve que guérir de l’acidose métabolique améliore la thyroïde et l’hormone de croissance chez les patients atteints d’une maladie rénale nécessitant une dialyse (procédé qui nettoie le sang avec une machine car les reins ne sont plus fonctionnels). Il n’y a AUCUN rapport avec le rôle de l’alimentation sur le pH sanguin puisqu’ici le traitement administré est du citrate de sodium, et puis on parle de personnes malades donc l’organisme ne permet pas d’équilibrer le pH sanguin de façon optimale, bref je ne comprends pas la pertinence de cette étude par rapport aux dires de Venesson, j’imagine qu’il a dû vouloir déformer les propos pour leur faire dire qu’une « alimentation basifiante » est bonne pour la thyroïde et l’hormone de croissance.

• – https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24002043/

Cette étude montre les effets de la charge acide rénale (en gros le pH de l’urine), pas du pH sanguin. Encore hors sujet.

• – https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23531361/

Cette étude montre qu’une prise de bicarbonates réduit l’acidose et augmente l’endurance. En fait tout sport d’endurance (utilisant la filière aérobie lactique) produit des déchets métaboliques dont des lactates (ce qui provoque la sensation de brûlure musculaire), le corps est donc temporairement plus acide, ça n’est pas une nouveauté, et le pH revient à la normale très rapidement après l’effort : il ne s’agit donc pas d’une acidose chronique, ça n’est pas une maladie, juste un état momentané de l’organisme. L’étude montre que la prise de bicarbonates n’augmente pas autant la production de déchets métaboliques et par conséquent augmente l’endurance (ben oui, puisqu’il n’y a pas de brûlure musculaire, on peut continuer plus longtemps). C’est là l’intérêt des boissons isotoniques pour sportifs.

• – https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24092691/

Cette étude montre les effets de l’alcalose métabolique (il ne me semble pas pertinent de rester dessus car ça ne traite pas – encore une fois – de notre sujet).

• – https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23027921/

Cette étude conclut que la prise de bicarbonate de potassium peut réduire le stress métabolique postprandial (après le repas) et par conséquent réduit la dégradation des protéines donc pourrait réduire le catabolisme sur le long terme. En dehors du fait que le stress métabolique, les états cataboliques et anaboliques, l’acidité, varient tout au long de la journée et que c’est la moyenne de ces variations qui est significative (donc que définir la réduction du catabolisme sur le long terme suivant la baisse du catabolisme postprandial seul ne me semble pas pertinent s’il ne prend pas les autres variations journalières en compte), il est ici question de consommation de bicarbonate de potassium, utilisée ici comme un médicament donc, il n’est pas question de l’effet de l’alimentation sur l’organisme.

• – https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2888724/ et – https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20555273/

Comme les 5ème et 7ème études , parlent de l’influence de la prise de bicarbonates de façon isolée.

• – https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/14522740/

Montre l’influence de l’alimentation paléo et de l’indice PRAL, autrement dit le pH urinaire, non le pH sanguin. Donc toujours HS.

• – https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23859996/

Cherche à montrer la pertinence des formules élaborées pour estimer l’excrétion nette d’acide dépendant du régime alimentaire (donc pH urinaire). Pertinence dans notre cas ?

Conclusion

Après la théorie de l’insuline qui rend obèse, celle sur le fructose qui te fait ressembler à une femme enceinte de 6 mois, Venesson nous livre ici des informations non fondées. Partisant du cherry picking (autrement dit, le fait de ne choisir que les infos qui l’arrangent), il montre ici sa capacité à faire dire aux études ce qu’elles n’ont pas dit.

Le mot de la fin : ne vous préoccupez pas de votre équilibre acide-base. Plutôt, suivez ces conseils : n’évitez pas la viande, mais choisissez-là de qualité, non transformée, mangez des abats, riches en fer, rétinol, acides aminés, etc ; et choisissez des bonnes pièces comme le paleron, riches en collagène et parfaits pour un bon boeuf bourguignon. Mangez des légumes et des fruits. Consommez des produits laitiers, ils sont riches en calcium, en vitamines et acides aminés, et ne donnent pas le cancer. N’oubliez pas les aliments fermentés comme le kéfir. Mettez de l’ail et du persil dans vos plats. Mangez des oeufs plusieurs fois par semaine (blanc cuit, jaune liquide). Consommez des glucides avant de dormir pour la détente, ne vous souciez pas de l’IG. Cuisinez à l’huile d’olive et un peu au beurre si cela vous fait plaisir. N’oubliez pas que le poisson et les fruits de mer sont des mines d’or de nutriments (omégas 3, zinc, fer…). Les patates et autres tubercules sont rassasiantes même bien cuites. Ne fuyez pas à tout pris le lactose, le gluten, la caséine, les acides gras saturés, le fructose, les glucides à IG haut ; privilégiez l’équilibre ! Et surtout, n’oubliez pas de vous faire plaisir, même si c’est pas paléo.

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